
Aude
Si on prend le temps de regarder les commerces de Chartres, on se rend compte de la richesse de leurs histoires.
Découvrir l'histoire des commerces de Chartres
Faire ses amplettes et déjeuner dans des lieux chargés d'histoire

La boucherie Pinson : un commerce de Chartres datant du 19e siècle
Quand je passe devant le 4, rue du Soleil d’Or, mes yeux finissent toujours par se poser sur cette belle devanture rouge, où s’inscrit en lettres capitales "BOUCHERIE". Elle m’appelle en me jouant un air d’autrefois. Construite en 1892, cette boutique n’a seulement que 3 ans de moins que la célèbre Tour Eiffel. Avec elle, c’est donc toute une époque qui s’exprime sous mes yeux.
Au-delà de l’histoire du lieu, classé monument historique le 4 octobre 2006, cette boucherie fut tenue pendant 55 ans par Roland Pinson. Deux autres bouchers l’ont précédé dans ce commerce : Maurice Lhuillery et Pierre Bigot. Lors d’une interview pour l’Echo Républicain, le gérant de la boucherie la plus ancienne du centre-ville de Chartres disait : "Des Pinson bouchers, ça existe depuis plus de cent ans". Il est beau de voir le témoignage de cette tradition familiale affichée sur cette magnifique devanture.
En s’approchant de la vitrine, chacun peut se rendre compte que rien n’a bougé à l’intérieur des lieux. À travers les grilles, j’observe le billot de bois sur laquelle la viande était découpée pour la donner au client ainsi qu’une balance à poids Napoléon III qui me ramène dans les boucheries fines du 19e siècle. D’un autre côté, je remarque un panneau indiquant les tarifs. C’est toute une histoire qui est ainsi figée dans le temps que certains passants n’entrevoient pas ou plus en cheminant dans la ville.
Le saviez-vous ? Le mobilier actuel de la boucherie a été récupéré en 1892 d’une autre boucherie qui se trouvait place Billard.

La maison de la voûte : un voyage au Moyen Âge
Sur la place du Cygne, c’est un lieu d’une toute autre nature qui m’attend. Classé monument historique en 1966, c’est un ancien grenier à sel qui m’ouvre ses portes. De l’extérieur, la façade est élégante avec ses grandes ouvertures surmontées de fenêtres datant du 18e siècle. Dans un coin, un panneau m’indique que l’ensemble a été restauré.
Puis, vient le temps d’entrer et c’est une plongée au 12e siècle qui s’opère. En descendant les marches pour aller à l’étage inférieur, on remonte ainsi le temps. Le regard ne peut s’empêcher de flâner d’un pilier à un autre dans cette maison pleine de charme. Aujourd’hui, elle est la demeure de la boutique Covent Garden.
Le saviez-vous ? Le sol d’origine de cette bâtisse se situe à plus de 4 mètres en-dessous de la chaussée actuelle.

La maison du médecin Huvé : le temps de la Renaissance
Je continue mon chemin pour arriver jusqu’au 10, rue Noël Ballay. Ici, se dresse devant mes yeux, une magnifique façade construite sous le règne d’Henri II.
En quoi cette maison remarquable de Chartres est de style Renaissance ?
L’identité de son architecte n’est pas clairement connue. Cependant, des éléments mènent à penser qu’elle aurait été imaginée par Philibert Delorme, architecte français de la Renaissance. On doit à ce dernier le château d’Anet situé au nord de l’Eure-et-Loir, commandé par le monarque pour sa favorite Diane de Poitiers.
Revenons à Chartres devant la façade qui me surplombe. Elle s’élève sur 2 étages et domine littéralement la rue. Quand on observe ses détails, on note une inspiration provenant de la mythologie grecque. Plusieurs motifs y font référence dont des colonnes. Par ailleurs, deux statues sont visibles à hauteur des fenêtres du 2e étage. D’un côté, un homme, de l’autre, une femme. C’est ce que l’on appelle respectivement un atlante et une cariatide. Ce sont des sculptures d’hommes et de femmes soutenant un entablement sur sa tête. Elles sont très en vogue au moment de la renaissance.
Aujourd’hui, classé aux monuments historiques en 1862, cette demeure offre un cadre idéal pour la librairie L’Esperluète. C’est un lieu parfait pour se plonger dans une pile de livres et autres ouvrages.
Le saviez-vous ? La maison du Médecin Huvé comme on l’appelle, est brièvement passée entre les mains de la famille de Montescot entre 1582 et 1607. Claude de Montescot, secrétaire du roi, à qui l’on doit l’hôtel du même nom en centre-ville de Chartres, l’a vendu par la suite à un marchand.

Le Tripot : une porte ouverte sur le jeu de paume
Au 11, place Jean Moulin, je m’arrête devant la porte d’époque renaissance du restaurant Le Tripot. En 1553, c’était certainement l’entrée d’un jeu de paume soit l’ancêtre du tennis (qui lui naquit tel qu’on le connaît aujourd’hui en 1874).
Qu’est-ce que le jeu de paume ?
Le jeu de paume trouve son origine au Moyen-Âge. Les parties se déroulaient dans tout endroit pouvant se prêter à sa pratique. Les deux joueurs ou deux équipes étaient séparés par une simple ligne. Au fil des siècles, cette pratique sportive a eu de nombreuses règles. Dans un premier temps, les joueurs n’avaient pas de raquettes mais utilisaient leurs mains d’où l’emploi du terme "paume". Ce n’est qu’entre le 15e et le 16e siècles que les raquettes font leur apparition.
C’est aussi à cette période que le jeu commence à se réglementer. Par exemple, certains règlements interdisent les propos blasphématoires. On voit apparaître des filets par-dessus lesquels doivent passer les balles. De plus, deux versions du jeu commencent à se distinguer : le jeu de "longue paume" (pratiqué en extérieur) et le jeu de "courte paume" (pratiqué en intérieur). La deuxième alternative autorise des rebonds de balles sur les murs. On le dit le sport favori des monarques. Le roi Henri IV, sacré à Chartres, en était par exemple un fervent pratiquant.

Qu’est-ce qu’un tripot ?
Les tripots étaient donc les lieux où se pratiquaient ce sport. Étymologiquement, le "tripot" voit son origine dans le verbe "triper". En ancien français, cela signifiait "danser, sauter". Cela renvoie donc aux rebonds effectués par la balle sur les murs de ces lieux. Ces établissements étaient le théâtre de jeux d’argent, on misait en faisant des paris sur les parties se déroulant devant ses yeux.
À Chartres, le tripot se nommait "Le Tripot de Jérusalem", c’était l’un des établissements les plus côtés de la ville. Retour dans l’instant présent, je lève les yeux et peut lire au-dessus de la porte l’inscription suivante : “VALEANT QUI DISSIDIUM VOLUNT”. Ce qui signifie : “HORS D’ICI LES QUERELLEURS“. Un bel avertissement sur les règles de la maison !

L’Hôtel de Champrond : retour aux 15e et 16e siècles
Je continue ma route jusqu’à m’arrêter au 26, place Jean Moulin. Récemment restaurée, cet hôtel particulier a de nombreuses anecdotes.
Qui est Jean de Champrond, l’Harpagon de Chartres ?
Cette demeure est tout d’abord la sienne. Elle date de la fin 15e – début 16e siècles. D’ailleurs, je peux voir le griffon, emblème de sa famille, sur l’entrée. Magistrat parisien, il était connu dans la région pour disposer de différentes seigneuries à travers la Beauce. Mais pas seulement…
Je lève les yeux sur les 4 pierres blanches qui ornent la façade de cette belle bâtisse et ne peut m’empêcher de réprimer un sourire. Normalement, aujourd’hui, nous devrions admirer aujourd’hui un magnifique damier rouge et blanc à cet emplacement. Pourquoi, n’est-ce pas le cas ? Figurez-vous que le riche bourgeois trouvait le coût de la pierre blanche beaucoup trop important. De ce fait, il préféra opter pour des briques rouges uniquement. Il était de notoriété publique qu’il était grandement avare et ne payait pas ses laquais. Pas étonnant qu’il est, dit-on, inspiré Harpagon à Molière pour sa comédie "L’avare" !
Vous savez désormais pourquoi le restaurant – salon de thé qui s’y est installé s’appelle "Le Molière". Le clin d’œil est fait !
Jusqu’à dans son dernier souffle, Jean de Champrond ne fit l’impasse sur aucune économie. Sur son lit de mort, il trouva la force d’aller éteindre une chandelle pour éviter toute dépense inutile et aurait même dit à sa femme : "Madame, je m'aperçois que mon médecin fait durer mon mal autant qu'il peut. Cela finira par me ruiner. Congédiez-le au plus vite et laissez la nature me guérir gratis".
Le saviez-vous ? L’Hôtel de Champrond est en arrière-plan de la célèbre photo de Robert Capa, "La Tondue de Chartres".